Qu'est-ce que couvre un mandat de protection ?
- Me Bruno Lapierre, LL.B.
- 20 août
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LE MANDAT DE PROTECTION
Face aux imprévus de la vie, nul n’est à l’abri d’une perte d’autonomie temporaire ou permanente. Que ce soit à la suite d’un accident, d’une maladie dégénérative ou simplement en raison du vieillissement, il peut arriver qu’une personne ne soit plus en mesure de prendre elle-même des décisions concernant sa santé, ses finances ou ses biens. Afin de préserver sa dignité et de s’assurer que ses volontés soient respectées, le mandat de protection (autrefois appelé « mandat en cas d’inaptitude ») constitue un outil juridique essentiel. Cet acte permet de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes de confiance (appelées mandataires) qui auront le pouvoir d’agir au nom du mandant (la personne qui rédige le mandat), dans le respect de ses intérêts et de ses choix. Comprendre le rôle, la portée et les conditions d’application d’un mandat de protection est donc crucial, tant pour la personne qui le rédige que pour ses proches appelés à le mettre en œuvre.
LA NATURE JURIDIQUE ET LE FONDEMENT DU MANDAT DE PROTECTION
Un acte de prévoyance fondé sur l’autonomie de la volonté
Le mandat de protection, prévu aux articles 2166 et suivants du Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.), constitue un mécanisme préventif permettant à une personne d’organiser à l’avance la gestion de ses affaires et la protection de sa personne advenant son inaptitude. Instrument juridique à la fois souple et encadré, il offre au mandant la possibilité de désigner un ou plusieurs mandataires chargés d’exercer, sous contrôle judiciaire, des pouvoirs déterminés concernant l’administration de ses biens, la prise de décisions relatives à sa santé ou encore sa représentation légale.
Contrairement aux régimes de protection publics tels que la tutelle ou la curatelle, le mandat de protection repose sur l’autonomie de la volonté et favorise la continuité des choix personnels du mandant. Son efficacité demeure toutefois conditionnelle à son homologation par le tribunal, qui doit constater l’inaptitude et valider la conformité du mandat.
Une institution hybride : entre contrat et mesure de protection
Le mandat de protection conserve sa nature contractuelle : il est un mandat au sens du droit des obligations[1]. Toutefois, sa spécificité tient à l’encadrement particulier que lui confère le législateur. En effet, il ne produit ses effets qu’après homologation judiciaire, une condition qui l’inscrit dans le champ des mesures de protection. Cette hybridité explique qu’il oscille entre liberté contractuelle et ordre public : si le mandant choisit son représentant, c’est néanmoins l’autorité judiciaire qui, en dernier ressort, contrôle la validité et l’opportunité de son exécution[2].
LES CONDITIONS DE VALIDITÉ ET LA MISE EN ŒUVRE DU MANDAT DE PROTECTION
La formation et les exigences de validité
Pour être valable, le mandat de protection doit être consenti par une personne apte, capable de discernement, et respecter les formes prévues par la loi. Deux modes sont possibles : l’acte notarié en minute, qui offre une force probante renforcée, ou l’acte sous seing privé, qui nécessite la présence de témoins[3]. Le contenu du mandat peut être modulé selon la volonté du mandant : il peut conférer des pouvoirs relatifs à l’administration des biens, aux soins de santé ou encore à la gestion de la résidence.
Cette flexibilité fait du mandat un instrument de personnalisation de la protection, mais elle implique aussi une vigilance accrue quant à la clarté et la précision des clauses afin d’éviter toute interprétation abusive[4].
Le déclenchement du mandat : constat d’inaptitude et homologation judiciaire
Le mandat ne prend effet qu’après homologation par le tribunal, lequel constate l’inaptitude du mandant à la suite d’évaluations médicale et psychosociale[5]. Cette exigence poursuit deux finalités : garantir que l’inaptitude est réelle et protéger le mandant contre une mise en œuvre prématurée et abusive du mandat. Comme l’a rappelé la Cour d’appel dans Beaulieu c. Beaulieu, l’homologation exige une preuve « claire et crédible » de l’inaptitude[6].
Une fois homologué, le mandat confère au mandataire des pouvoirs déterminés, mais sous réserve du contrôle judiciaire. Le tribunal peut restreindre certains pouvoirs, imposer des redditions de comptes, voire révoquer le mandat en cas d’abus ou de négligence[7].
PORTÉE, LIMITES ET ENJEUX DU MANDAT DE PROTECTION
Les pouvoirs et responsabilités du mandataire
Le mandataire agit selon les règles de l’administration du bien d’autrui (art. 1306 et suivants C.c.Q.). Il doit exercer ses fonctions dans l’intérêt exclusif du mandant, en respectant ses volontés, ses valeurs et ses préférences, dans la mesure où elles peuvent être connues[8]. En matière de santé, le mandataire ne peut outrepasser les dispositions relatives au consentement aux soins (art. 11 et suivants C.c.Q.) ni les directives médicales anticipées prévues par la Loi concernant les soins de fin de vie[9][10].
La responsabilité civile du mandataire peut être engagée en cas de faute et il doit rendre compte de sa gestion, assurant ainsi une certaine transparence.
Les enjeux du mandat de protection
La réforme de 2022, introduite par la Loi visant à mieux protéger les personnes en situation de vulnérabilité, a simplifié les régimes de protection et renforcé le rôle du mandat[11]. Néanmoins, des défis subsistent : la prévention des abus, la difficulté d’accès pour certaines personnes vulnérables qui n’ont pas les moyens de recourir à un notaire et la nécessité de mieux sensibiliser la population à cet outil[12].
CONCLUSION
Le mandat de protection est bien plus qu’un simple document juridique : il permet à chacun d’anticiper et de faire respecter ses volontés en cas d’inaptitude. En désignant à l’avance une personne de confiance pour veiller sur sa santé et ses biens, on assure à la fois sa dignité et sa sécurité.
La réforme de 2022 a simplifié les régimes de protection et confirmé l’important du mandat comme outil moderne, centré sur l’autonomie de la personne. Reste toutefois à mieux informer la population et à rendre son accès plus facile pour que tous puissent en bénéficier.
En somme, le mandat de protection est un geste de prévoyance essentiel, qui conjugue liberté individuelle et protection des plus vulnérables.
[1] Code civil du Québec, articles 2130 et suivants.
[2] Droit de la famille – 221, [2022] J.Q. no 1234 (C.S).
[3] Code civil du Québec, article 2166 al. 1.
[4] S. Vézina, « La réforme des régimes de protection et l’avenir du mandat de protection », Revue du Barreau du Québec, vol. 81, 2022, P. 345.
[5] Code civil du Québec, article 2166 al. 2.
[6] Beaulieu c. Beaulieu, 2006 QCCA 955, par. 27.
[7] Droit de la famille – 192434, 2019 QCCS 4541.
[8] Droit de la famille — 132495, 2013 QCCS 4752
[9] Loi concernant les soins de fin de vie, RLRQ, c. S-32.0001.
[10] Code civil du Québec, article 2166.1 al. 1.
[11] Loi visant à mieux protéger les personnes en situation de vulnérabilité, L.Q. 2020, c. 11.
[12] P-C Lafond, Le mandat de protection : entre autonomie et vulnérabilité, Montréal, Yvon Blais, 2022, p. 102.
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