
Le polyamour et le droit de parenté
Aujourd’hui, on entend plus fréquemment parler d’une forme de vie amoureuse qui inclut plus de deux personnes. Ces personnes partagent leur vie à travers le polyamour. Au Canada, rien n’empêche d’adopter le polyamour comme mode de vie, mais on ne peut pas penser s’unir ou se marier légalement lorsqu’on forme un trio ou plus. Ceux qui voudraient le faire courent le risque d’être inculpés pour avoir commis un crime. En effet, l’article 293. (1) du Code criminel interdit la polygamie au Canada. On peut comprendre de cet article que la polygamie est une forme de mariage ou d’union conjugale d’une personne avec plus d’une autre. Ces personnes peuvent risquer jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. Le fardeau de preuve n’exige pas que les formalités d’union soient prouvées et il n’est pas nécessaire de prouver que ces personnes ont eu ou avaient l’intention d’avoir des rapports sexuels. La polygamie et le polyamour ne sont donc pas à confondre.
Pour l’instant, les polyamoureux ne bénéficient pas d’autres avantages que ceux qu’ils trouvent dans le polyamour comme tel puisque notre droit ne leur permet pas d’être poly-conjoints ni poly-parents légalement. Ce bref article s’intéresse donc à l’émergence d’un questionnement posé par l’évolution du concept de la famille face aux droits des parents polyamoureux.
La nouvelle parentalité et le lien de parenté
On peut penser que la période des années 1960 est majoritairement celle où la parentalité a commencé à adopter un autre genre en raison de la normalisation de l’éclatement des familles qui est venu changer le modèle familial québécois. Cette situation a engendré des familles recomposées où le nouveau conjoint a pu adopter des responsabilités parentales par délégation sans toutefois avoir un lien de droit avec l’enfant. On aura ensuite vu d’autres versions de familles apparaître comme avec les conjoints de même sexe et maintenant avec le polyamour. Ce dernier modèle de famille amène le besoin de réfléchir à la conception unique de la famille composée seulement de deux parents.
Les fondements du droit des parents doivent maintenant être questionnés en ce qui concerne le lien de parenté entre les poly-parents et l’enfant pour lequel ils adoptent des responsabilités parentales. L’idée étant qu’il faut considérer que les familles s’élargissent selon leur conception et cela permet d’évoquer l’inapplicabilité du concept légal de parenté à ce nouveau genre de famille élargie. Aux yeux des personnes ayant construit leur cadre familial à travers le polyamour, notre droit peut sembler trop rigoureux et peu inclusif pour ceux qui voudrait faire reconnaitre légalement leur parenté. Le polyamour soulève une autre évolution de la famille qui entrainera sûrement de possibles considérations juridiques afin que l’on puisse réaffirmer l’objectif et l’étendue de notre droit en matière familiale. Il faut dire que les polyamoureux se heurtent à un droit qui n’avait pas prévu qu’un couple pourrait être formé de plus de deux conjoints. Dès l’inscription du nom des parents sur l’acte de naissance, l’idée d’être plus de deux parents est évacuée. Au Québec on ne peut pas être plus de deux parents reconnus civilement.
Les questions sans réponses nous viennent rapidement en tête lorsqu’on imagine les problèmes générés par la séparation d’une famille polyamoureuse dans laquelle les amoureux auraient tous un lien de parenté reconnu avec un enfant. On peut se demander par exemple comment l’autorité parentale pourrait être exercée ou encore comment la garde pourrait être partagée ou comment une pension alimentaire pourrait être envisagée. Cette nouvelle vision du lien parental remet en question l’assise du droit relatif au concept de parenté.
Le polyamour et l’intérêt de l’enfant
La société semble s’adapter aux différentes formes qu’a pu emprunter la famille et le droit a fini par faire quelques adaptations qui n’ont pas permis de réviser le concept de parenté. Peut-on penser que le polyamour pourra amener le droit à réviser ce concept ?
Il faut d’abord différencier le concept de parenté de celui de la parentalité. La décision Droit de la famille – 191677, 2019 QCCA explique bien la distinction à apporter[1]. Cela permet de comprendre que la parenté et la parentalité n’ont pas les mêmes effets mais sont tous les deux liés à l’intérêt de l’enfant. La parenté est en lien avec la filiation qui crée le lien de droit entre les parents et l’enfant. La parentalité quant à elle est vue comme la fonction d’être parent et n’enlève pas la parenté aux parents. La parentalité, c’est tenir le rôle d’un parent pour un enfant et l’absence de parenté ne prive pas de cette possibilité. « En ce sens, une personne qui est un tiers au sens du droit de la filiation peut néanmoins être appelée, dans les faits ou en droit, et parallèlement ou par substitution aux parents, à exercer le droit de garde, à apporter une assistance financière à l’enfant, ou à exercer des droits d’accès, et ce, sans nécessairement enlever à la mère ou au père son statut juridique de parent. »[2]
L’obstacle majeur à ce qu’un enfant puisse avoir plus de deux parents civilement reconnus serait donc la dissociation des effets légaux de la parenté de ceux de la parentalité. Peut-on penser que plus de parents légalement reconnus ferait en sorte que l’intérêt de l’enfant serait plus simple à protéger puisqu’il y aurait plus de parents qui pourraient exercer les responsabilités parentales. S’agit-il d’un avantage qui puisse contribuer à justifier la nécessité de modifier notre droit pour permettre aux polys-couples de devenir polys-parents ?
Conclusion
Les modifications législatives en lien avec l’évolution du concept de la famille au Québec nous poussent à penser que le droit de la famille nécessite une profonde réflexion sur les limites de son adaptabilité versus la nécessité de l’adapter.
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